Chapitre 15 : Apprendre à lire : méthodes et supports

Les différentes méthodes d’apprentissage

Premier débat : priorité au code ou au sens ?

A l’ancienne querelle entre les méthodes « syllabique » ou « globale » s’est substitué le débat entre ceux qui fondent les premiers apprentissages sur l’acquisition du code et ceux qui mettent en première ligne le recours à des stratégies de compréhension directe des textes. Les dernières instructions officielles reflètent la tendance actuelle à faire apprendre simultanément et en les faisant interagir le code et la construction du sens. Il n’existe cependant plus guère de maîtres qui appliquent une seule méthode.

Deuxième débat : quelle durée pour l’apprentissage du code ?

Certains préfèrent un apprentissage échelonné sur les trois ans du cycle 2 alors que d’autres, c’est ce que préconisent les IO, mettent l’accent sur un apprentissage renforcé occupant pour l’essentiel le CP.

Méthodes donnant la priorité à l’apprentissage du code

Ces méthodes « ascendantes » ont pour point commun de se vouloir cartésiennes et d’aller du « simple » au complexe, à savoir de la lettre - ou phonème – à la syllabe, de la syllabe au mot, du mot à la phrase.

Méthodes syllabiques (ou synthétiques)

A partir des lettres

Elles reposent sur le B A, BA, principe longtemps indiscuté et passé dans le langage courant comme une évidence. La méthode Boscher ou La journée des tout-petits a été réédité récemment (1984). Il y a également Daniel et Valérie ou Ratus et ses amis. Ces méthodes syllabiques proposent une progression dans l’apprentissage des voyelles et des consonnes pour « sécuriser » les maîtres.

A partir des sons

Dans les années 70 arrive en France en provenance du Canada Le Sablier, méthode précédée d’une réputation flatteuse. Ses auteurs la définissaient comme « une méthode à base phonologique ». La nouveauté réside dans le fait que l’objet de chaque nouvelle acquisition est le phonème, plus petite unité de la langue orale.

L’essentiel du travail consistait en l’épellation phonétique, analyse de la chaîne parlée, pour y repérer des phonèmes dans des phrases ou des mots. On apprenait alors les diverses correspondances graphiques baptisées costumes du phonème qui faisait l’objet du travail de la semaine.

Le guide pédagogique accompagnant Le sablier montre un véritable bric à brac concernant par exemple le phonème ou noyé au milieu d’une liste dans laquelle figurent des graphies qui n’apparaissent que dans quelques mots voire un seul (saoul, joug), des graphies empruntées à l’anglais (ew), des homonymes grammaticaux (ou, où) ou lexicaux (houe, août)/

Autre source de confusion majeure, la réduction du système orthographique à des relations graphophoniques nie la morphologie et ignore ainsi des terminaisons porteuses de sens lexical ou grammatical.

Les versions successives de Au fil des mots sont inspirées de cette approche. Il en est resté le point de départ phonologique et l’habitude d’entraîner les enfants à constater la présence ou l’absence des phonèmes et à repérer leur place dans les mots.

La méthode globale et ses dérivés

Ces méthodes ne recourent pas à un manuel et  étaient associées à l’origine – sous l’impulsion de l‘éducateur belge Ovide Decroly – à une pédagogie novatrice centrée sur l’enfant (ce n’est pas forcément le cas aujourd’hui).

On part de phrases significatives en relation avec le vécu de l’enfant et leur confrontation permet de retrouver des mots identiques dans des phrases différentes. Ils constituent alors un capital de mots que l’on manipule et dans lesquels on isole des lettres à partir desquelles on compose des syllabes qui servent à leur tour à composer des mots. Cette méthode a été très décriée.

La méthode naturelle (Célestin Freinet)

Recours dominant à des textes produits par les élèves. Cette méthode associe l’apprentissage de la lecture à celui de la production de textes signifiants (avec aussi le recours à l’imprimerie). Les écoles qui perpétuent la pédagogie Freinet restent minoritaires mais le recours à des écrits produits par les élèves s’est assez largement diffusé dans les classes.

Les méthodes dites  « mixtes »

Les manuels qualifiés ainsi par leurs auteurs avaient pour objectif de fournir aux maîtres une méthode « clés en main » permettant aux enfants de se constituer un capital de mots durant les premières semaines du CP avant de passer à l’étude des correspondances entre l’oral et l’écrit, maîtriser la combinatoire, accéder ainsi au déchiffrement et à la reconnaissance des mots.

Ces deux étapes, que les IO veulent aujourd’hui complémentaires et concomitantes étaient dans la pratique échelonnées selon un calendrier rigoureux.

Ces manuels présentent généralement une famille ou un groupe d’enfants. cela donne lieu à des formules de présentation, à des phrases simples qui fournissent le premier capital de mots appris globalement.

Ce que les auteurs appellent « méthode de lecture » est en fait un ensemble constitué de multiples éléments.

Méthodes privilégiant l’accès au sens

Les années 70 voient apparaître une conception nouvelle de l’apprentissage de la lecture. Elle s’appuie sur le modèle descendant et surtout postule  que l’enfant doit être entraîné d’emblée à se comporter face à l’écrit comme un lecteur expert dont on pense alors avoir compris la conduite. Cette approche est diffusée par deux ouvrages destinés aux maîtres : La lecture à l’école d’Evelyne Charmeux (1975) et La manière d’être lecteur de Jean Foucambert (1976).

L’enfant doit apprendre à lire en lisant avec les moyens qui sont les siens et qu’il améliore au fur et à mesure de ses rencontres interactives avec l’information contenue dans les écrits. Certains pensent que jusque la l’école a seulement appris à déchiffrer aux enfants.

L’apprentissage de la lecture doit porter sur des écrits sociaux vrais. La notion même de manuel de lecture est récusée car il ne procure ni plaisir ni information. Il faut proscrire l’oralisation pour l’enfant accède directement au sens sans passer pas le son.

Personne ou presque ne nie désormais l’intérêt de lire avec un projet, de travailler sur des écrits vrais et non trafiqués, des écrits complets.

Un point va cependant bientôt poser problème : la nécessité ou non d’apprendre la combinatoire. Pour Evelyne Charmeux, cela doit être un aboutissement et non pas un point de départ. Jean Foucambert bannie totalement l’apprentissage de la combinatoire puisque l’oralisation et le déchiffrement sont absents chez le bon lecteur.

La bibliothèque Centre de Documentation

L’apprentissage de la lecture passant par des confrontations avec de vrais écrits dans des situations variées, elle est devenue un lieu stratégique d’un apprentissage initial, continué et « socialisé » de la lecture. Cependant, la BCD reste souvent assez marginale et n’a guère changé le rapport à la lecture dans bien des écoles.

La lecture rapide

Certains chercheurs et praticiens de la lecture considèrent que la rapidité va de pair avec l’efficacité et ont donc préconisé l’entraînement à la lecture rapide par diverses activités (fichiers Atel sur papier ou logiciels informatisés Elmo puis Elsa). Les élèves doivent notamment élargir leur empan visuel en lisant verticalement des mots ou groupes de mots comportant de plus en plus de caractères. Ils doivent aussi s’entraîner à lire rapidement un texte et répondre à des questions sur le texte qu’ils n’ont plus sous les yeux.

On peut voir là une contradiction, la démarche la plus courante étant de lire un texte pour répondre à des questions que l’on se posait déjà.

Méthodes interactives

Des maîtres pensent que le manuel ne convient pas à l’apprentissage de la lecture car un contenu textuel préétabli ne peut pas répondre aux intérêts de tous les enfants. Il gardent à l’apprentissage de la combinatoire une place importante au cycle 2 et surtout au CP.

Ils prennent pour support des textes qui leur paraissent plus à même de faire sens pour les élèves :

-         des textes tirés d’albums

-         des écrits sociaux dont la lecture a été rendue nécessaire par les projets menés en classe

-         des textes écrits par les maîtres à partir des « récits de vie » des enfants

-         des textes écrits par les enfants (lettre écrite aux correspondants par exemple).

Des manuels conçus pour l’interactivité

Des enquêtes ministérielles montrent que près des deux tires des maîtres de CP utilisent un manuel de lecture en début d’année. Mais le manuel de lecture traditionnel est le moins conciliable avec le projet de lecture, la recherche d’une documentation, le choix d’un fiction en fonction de l’intérêt du moment.

Les concepteurs de manuels présentent donc des ouvrages offrant un support adapté à une conception interactive de l’apprentissage :

-         des ouvrages comportant très tôt des écrits de types divers : certains documents sont reproduits à l’identique et d’autres sont conçus pour l’apprentissage de la lecture et miment un projet dont des enfants fictifs sont les protagonistes (limites de cette méthode). Cette réserve  vaut pour tous les manuels présentant des clones d’écrits sociaux (étude d’une page d’un magazine de télévision périmé par exemple).

-         des livres de l’élève imitant la forme textuelle et la présentation d’un album, tout en présentant des textes spécialement conçus pour l’apprentissage de la combinatoire.

-         certains auteurs font travailler les enfants sur de vrais albums.

Un outil d’analyse des méthodes de lecture

Voir photocopie

D’autres outils que le manuel

=  classeurs, manuels ou coffres.

Les auteurs de ces ensembles affirment leur volonté de rompre avec le manuel traditionnel.

Les outils informatiques : ils constituent pour certains enfants une motivation qui les raccroche à la lecture. Cependant, la preuve n’est pas encore faite du transfert des compétences travaillées isolément à l’écran sur la lecture d’ouvrages imprimés, les logiciels d’entraînement à la lecture rapide peuvent troubler des lecteurs même confirmés.

En résumé

Le choix de la méthode de lecture est un facteur moins déterminant pour la réussite des apprentissages par les élèves que l’implication du maître. Preuve : une nouvelle méthode a un très fort taux de réussite lorsqu’elle est mise en œuvre par des pionniers persuadés de sa justesse et appliqués à la promouvoir et qu’elle semble devenir moins efficace lorsqu’elle se banalise.