L'affirmation du pouvoir royal (XII°-XV° siècles)

Problématique : Dans cette période, l'Etat émerge lentement de la féodalité. De plus en plus, le roi capétien s'affirme comme le seigneur de tous les seigneurs, exigeant leur hommage et leur obéissance, tout en accroissant son domaine. Menacé, diminué pendant la guerre de Cent Ans (1338-1453), le roi parvient néanmoins à poser les bases de l'Etat moderne. Comment le roi capétien, prince féodal parmi des vassaux plus puissants que lui, a-t-il pu affirmer son autorité à la fin du Moyen Age ?

I) En trois siècles, la construction de l'Etat moderne...

A) Du morcellement féodal à la reconstruction du domaine royal

La longueur du règne de Louis IX (1220-1270), l'affirmation européenne et méditerranéenne de son pouvoir, l'essor économique et urbain du royaume ont permis aux historiens d'identifier ce roi chevalier, chrétien et croisé au XIII° siècle, apogée du Moyen Age. Cette autorité rayonnante du roi de France provient de l'effort constant, obstiné de la dynastie capétienne, qui, depuis les débuts du XI° siècle, tente à la fois d'agrandir le domaine royal et de contrôler toute la pyramide féodale.

A cet égard, l'action du grand-père de Louis IX, Philippe II Auguste, est fondamentale. A son avènement en 1180 (voir la carte p.398), Philippe Il ne contrôle directement qu’un domaine royal restreint centré sur 1'lle de France et l'Orléanais. La plus grande partie des terres du royaume, de l'Aquitaine à la Normandie, est sous la suzeraineté des Plantagenêts, eux-mêmes rois d'Angleterre (Duc de Normandie et du Maine, Henri de Plantagenêt épouse Aliénor, l'héritière du duché d'Aquitaine, avant de devenir roi d'Angleterre).

Dès lors, le roi capétien n'a de cesse de réduire la puissance d'Henri Il Plantagenêt et de ses fils, ses vassaux rebelles pour leurs possessions françaises : conquête de la riche Normandie contre Richard Cœur de Lion (à l'issue du terrible siècle de Château Gaillard, en 1204, le dernier cas d'anthropophagie attesté en France), victoire de Bouvines en 1214 contre l'empereur Germanique et Jean Sans Terre, grâce au soutien des milices bourgeoises des villes de Picardie, première émergence du sentiment national français selon certains historiens (mais cette victoire est ignorée au sud de la Loire).

A l'issue de son règne, Philippe II (consacré Auguste au lendemain de Bouvines) est devenu le plus grand prince territorial du royaume (avec le rattachement au domaine royal de l'Anjou et du Mandois, en plus de la Normandie et du Maine). C'est à son époque que l'expression Francia tend à désigner l'ensemble du royaume (avant, on utilisait alors l'expression Francia tota). Peu à peu, ses successeurs se sentent maître d'un territoire, et pas seulement d'un peuple : celui des Francs, des hommes libres et de l'aristocratie. Ainsi, sous Louis IX, en 1254, le Rex francorum (le royaume des Francs) devient officiellement rex Franciae (royaume de France). Finalement, le petit-fils de Louis IX, Philippe IV le Bel, est le premier à se faire appeler "roi de France".

C'est que la liste des terres, des fiefs, que les rois capétiens contrôlent et intègrent à leur domaine personnel est de plus en plus longue. Acquises le plus souvent pacifiquement, par mariages (Philippe le Bel avec l'héritière du comte de Champagne), héritages, achat (le Mâconnais), confiscations, ou guerres, les fils poursuivant sans interruption l'œuvre de leur père, ces terres du domaine tendent à se confondre de plus en plus avec l'espace du royaume (le comté de Toulouse sous Philippe III, la Champagne sous Philippe le Bel), et même à en repousser les frontières (dans la deuxième moitié du XV° siècle, sous Charles VII et Louis XI, le royaume s'étend au-delà du Rhône, l'une des 4 rivières" de 843, avec l'intégration du Dauphiné et de la Provence, cf. cartes Magnard p.195).

La guerre de Cent Ans, qui a paru menacer l'existence même du royaume de France, n'a pas interrompu cette extension du domaine et du royaume capétien. Si le royaume s'étend sur 313000 km2 en 1328 (à la mort du dernier capétien direct, Philippe le Bel), il couvre 500 000 km2 à la fin du Moyen Age, au lendemain de la défaite anglaise de 1453.

B) Une centralisation croissante assise sur l'impôt et l'armée permanents

Petit seigneur aux XI° et XII° siècles, obligé de combattre ses propres vassaux sur son domaine, défié par les grands seigneurs, ignoré pendant deux siècles par les comtes de Toulouse qui ne lui prêtent pas hommage, le Capétien est pourtant devenu, à partir de Philippe-Auguste, le roi reconnu par tous, et doté d'un prestige immense. Peu à peu, la souveraineté monarchique, avec la renaissance du droit romain au XIII°, prend la place de la suzeraineté féodale. Mais c'est en s'appuyant sur la féodalité et la religion que les rois capétiens ont assuré leur autorité suprême.

* Par la religion : en effet, le roi capétien est un personnage sacré. Par l'onction (signe de croix effectué par l'archevêque de Reims avec le saint-chrème, rappel du baptême de Clovis), le roi devient un personnage religieux, au-dessus des autres hommes, roi par la volonté de Dieu, avec une mission divine de paix et de justice et un pouvoir miraculeux de guérison. Soutenu par l'Eglise catholique, le roi porte l'anneau béni, en signe d'union avec son peuple.

* Par la féodalité : le couronnement distingue la dynastie capétienne. Entouré par les évêques et les grands seigneurs (cf. la gravure Magnard p.48) , le roi est élu par l'archevêque de Reims, avec l'approbation des féodaux et de l'Eglise : " nous approuvons, nous voulons que cela soit ! " Le couronnement, la remise du glaive (pour combattre les ennemis de la foi), l'onction et la remise de l'anneau, c'est tout cela qui constitue le sacre, cérémonie au cœur de la prééminence royale : même plus puissants que lui, pendant toute la féodalité, les princes territoriaux ne songent pas à remplacer le Capétien...

Dans un domaine étendu, dans un royaume prospère, Louis IX peut affirmer qu'il est le suzerain de tous les suzerains et le souverain de tous les habitants du royaume. Il est à la tête de la hiérarchie féodale (il n'est le vassal de personne) et le roi de tous, même dépendants de seigneurs. "Ducs, comtes, barons, châtelains, citadins, vilains, tous sont sous la main du roi" ( 1260).

Progressivement, les "grands rois" capétiens (Louis IX, Philippe le Bel, Louis XI) prouvent la force de leurs insignes royaux (cf. gravure Magnard p.51, Saint Louis avec sceptre, main de ,justice et robe fleur-de-lisée).

* Le roi gouverne (pouvoir exécutif), en parcourant son domaine ou de Paris, où les institutions royales se concentrent (chancellerie, Parlement, états, (cf. ci-dessous). Au nord, les baillis, au sud les sénéchaux représentent le roi dans les provinces. Des officiers royaux sont nommés à la tête des villes qui ne sont pas de commune, comme à Melun ou à Paris, villes royales. Profitant de la renaissance du droit romain, avec le retour en force des notions d'Etat et de souveraineté, les légistes de Philippe le Bel (fonctionnaires, et non plus vassaux à la Cour) proclament que "le roi est empereur en son royaume", qu'il n'est soumis à aucune autorité extérieure, même celle du Pape, à qui il arrache les nominations ecclésiastiques.

* Le roi fait les lois (pouvoir législatif) : par exemple, Louis IX interdit les guerres privées entre féodaux. C'est une première tentative d'affirmer l'arbitrage du roi. Pour financer ses guerres contre les derniers grands fiefs, Philippe le Bel s'appuie sur de grandes assemblées réunissant nobles, ecclésiastiques et bourgeois des villes, pour consentir l'impôt et exalter la mission royale. C'est l'origine des états généraux, rassemblant les trois ordres du royaume.

* Le roi rend la justice (pouvoir judiciaire) : c'est l'image de Saint Louis rendant la justice sous le chêne de Vincennes (cf. texte pp. 143 et 144). Son règne voit la naissance du Parlement de Paris, cour de justice suprême à laquelle tous les habitants du royaume, dans le domaine et hors du domaine, peuvent faire appel des jugements prononcés par les tribunaux seigneuriaux. De la même façon, le roi favorise les bourgeois dans leur lutte contre le ou les seigneurs de leur ville.

Pour assurer cette souveraineté, le roi a besoin de la force et d'importantes ressources financières. Sous Charles VII et sous Louis XI, l'impôt (la taille sur les roturiers, les aides, taxes sur le commerce, et la gabelle du sel) et l'armée, devenus permanents, représentent deux nouveaux pouvoirs considérables du roi, en fait deux des fondements de l'Etat moderne. (Jusque là, le roi devait compter sur "le ban et l'arrière-ban", c'est à dire sur l'aide militaire volontaire de ses vassaux et de leurs milices paysannes. Souvent, il ne pouvait conserver cette armée plus de 40 jours, la durée du service d'ost).

C) "Un modèle français" pour l'Europe

Avec 15 à 20 millions d'habitants (dans les frontières actuelles), la France est le pays le plus peuplé de l'Occident chrétien. Sa capitale en est aussi la plus grande ville, de très loin (peut-être 200 000 âmes) (cf Carpentier p. 140) et son ascendant, au Xlll°, rayonne dans toute l'Europe.

Paris domine une région, la France (notre actuelle Ile-de-France) qui a donné son nom au pays tout entier. La capitale concentre toutes les fonctions urbaines :

- résidentielle : sa forte population (intra muros et faubourienne) constitue un gigantesque foyer de consommation, en partie à l’origine de la prospérité des foires de Champagne (Meaux est le grenier à blé de Paris) ;

- politique : l’île de la Cité accueille le château, l'administration et la justice royaux, le pouvoir temporel ;

- religieuse : à l'autre extrémité de la Cité, la cathédrale Notre-Dame incarne l'autre pouvoir médiéval, celui de l'Eglise, le pouvoir spirituel. Né à Saint-Denis, au milieu du XII° siècle (où l'abbaye abrite désormais les tombeaux royaux), l'art gothique, art urbain de la lumière divine, marque Paris et toute 1'Ile de France, avant de se répandre dans toute l'Europe (cf carte pp.400-401) ;

- économique : la rive droite, autour du port de Grève et des halles, concentre les milliers de boutiques d'artisans organisés par rues et en guildes, sous l'emprise de la hanse des marchands de l'eau ;

- intellectuelle : sur la rive gauche, l'Université, corporation de maîtres et d'étudiants, naît au début du XIII° siècle. De toute l'Europe, des étudiants accourent pour suivre l'enseignement des maîtres parisiens, comme Albert le Grand ou le dominicain Thomas d'Aquin (Thomas d'Aquin est dominicain, l'un des deux ordres monastiques mendiants nés au début du XIIIO siècle, avec les franciscains. Ces moines portent l'évangélisation au cœur des villes, dont l'importance s'affirme à l'époque).

Le français se diffuse au sein des populations lettrées (le latin reste la langue des religieux) et dans toute l'Europe.

 

II) ... malgré les temps difficiles des XIV° et XV° siècles...

Il faut conserver en mémoire cette victoire de l'autorité royale, dans un Etat renforcé (création de la poste, qui accélère la transmission des ordres royaux, par Louis XI) en abordant la fin du Moyen Age, marquée par les trois cavaliers de l'Apocalypse (la guerre, les épidémies, la famine). De ces deux siècles d'épreuves, le royaume sort transformé, avec un affaiblissement de la noblesse, l'essor politique et social de la bourgeoisie commerçante des villes, sous l'autorité du roi.

A) La guerre de Cent Ans (1338-1453)

Cette guerre, qui n’a pas duré cent ans parce qu’entrecoupée de longues périodes de trêve, est le dernier exemple de conflit féodal entre deux Etats en construction et rivaux pour imposer leur suprématie à toute la chrétienté (Philippe Auguste et Richard Cœur de Lion ont conduit ensemble la troisième croisade).

Le conflit entre Capétiens et Plantagenêt rebondit au début du XIV' siècle, lorsque le roi d'Angleterre Edouard III refuse de se reconnaître le vassal du roi de France pour ses possessions françaises (la Guyenne). Descendant de Saint Louis, petit-fils par sa mère de Philippe le Bel, Edouard III Plantagenêt réclame le trône de France qui a échu à Philippe VI de Valois, cousin du dernier Capétien en ligne direct, mort sans descendance en 1328. Philippe VI a été élu roi par les grands du royaume, considérant qu'ils ne pouvaient obéir à un roi d'Angleterre. ce qui marque une nouvelle avancée du sentiment national.

Les débuts de la guerre qui s'ensuit sont très favorables aux Anglais. 1346 : victoire de Crécy. 1356 : victoire de Poitiers (le roi Jean le Bon est capturé et emprisonné à Londres) qui impose la cession en 1360 de parties considérables du royaume, du Poitou à l'Aquitaine. Il faut toute l'énergie de Charles V et la guérilla de Du Guesclin pour reconquérir l'essentiel du pays, vers 1375, quand s'achève la première phase de la guerre.

Elle rebondit en 1415 avec la victoire anglaise d'Azincourt qui décime la chevalerie française. Alliés aux Anglais, les ducs de Bourgogne combattent l'autorité royale. En 1420, avec l'aide bourgui-nonne, le roi anglais impose le Traité de Troyes par lequel Charles VI, le roi fou, déshérite son fils au profit d'Henri V de Lancastre, qui devient son gendre. Le dauphin français ne règne plus que dans son "royaume de Bourges", où il s'est réfugié, tout le nord et l'est de la Loire étant occupés par ses ennemis. Survient Jeanne d'Arc, en 1429, qui permet le sacre, accompli à Reims, en pleines terres bourguignonnes : Charles VII peut désormais compter sur la légitimité divine. Patiemment, abandonnant Jeanne à son sort, Charles VII reconquiert son royaume, ne laissant aux Anglais que Calais, après la victoire de Castillon en 1453, la dernière bataille de la guerre de Cent Ans.

Intermittente, d'ampleur inégale selon les époques et les lieux, la guerre de Cent Ans n'en a pas moins été destructrice dans les régions où les chevauchées et les batailles se sont multipliées, comme dans le Bassin Parisien (cf texte p. 155).

B) La Peste Noire et ses récurrences

La guerre de Cent Ans déclenchée, cette seconde catastrophe frappe peu après le royaume, comme un châtiment envoyé par Dieu. En fait, le bacille de Koch, transmis par une puce qui voyage avec les rats, est arrivé par bateau des rives de la Mer Noire. C'est toute l'Europe qui est touchée à partir de 1347-1348, hommes, femmes, jeunes, vieux, riches et pauvres, laïques et religieux. Extrêmement mortelle, l'épidémie est récurrente : elle frappe à nouveau tous les 15-20 ans, c'est-à-dire au moment où les nouvelles générations qui ont survécu sont à l'âge fécond.

Crise de mortalité, crise de fécondité : la Peste Noire de 1348 et ses récurrences jusqu'au milieu du XV° siècle entraîne une véritable catastrophe démographique : la population européenne a diminué d'un tiers par rapport à son niveau de 1300. En France, c'est pire : le point le plus bas est atteint vers 1430, au moment où Jeanne d'Arc occupe le devant de la scène. La France, dans ses limites actuelles, ne compte plus que 8 à 10 millions d'habitants environ : en un siècle, elle a peut-être perdu 60% de sa population ; elle est revenue au niveau de l'an Mil...

C) La famine

La peste et les autres épidémies sont d'autant plus mortelles qu'elles atteignent une population parfois très mal nourrie, affaiblie. En effet. au début du XIV° siècle. l'Occident chrétien est un " monde plein ". L'assèchement des marais, les défrichements ont atteint leurs limites, tout comme les rendements agricoles (cf ci-dessous). Les campagnes ne parviennent plus à nourrir une population devenue trop nombreuse. Avant même le déclenchement de la guerre de Cent Ans, avant même la Peste Noire, une grande famine, très meurtrière, touche la Flandre et le nord de la France, en 1317. Les combats et les épidémies aggravent la crise des campagnes. Révoltés contre l'incompétence des chevaliers et les impôts du roi, les paysans de 1'lle de France se soulèvent en 1358 (à Meaux en particulier), en s'en prenant aux châteaux de cette noblesse qui a failli devant les Anglais et qui est incapable d'assurer sa mission de protection : cette jacquerie laissera son nom à toutes les émeutes paysannes des Temps modernes.

Les campagnes sont dépeuplées, mais on meurt toujours de faim : on manque de bras, pas de terres. Les intempéries s'en mêlent : l'hiver 1480-1481 est particulièrement long et rigoureux. Il s'accompagne d'une famine généralisée dans tout le royaume.

C'est seulement dans la deuxième moitié du XV° siècle qu'un redressement démographique s'amorce, vigoureux et durable. La population triple entre 1470 et le milieu du XVI° siècle. La France retrouve son niveau démographique de l'époque de Saint Louis, trois siècles auparavant...

III)...dans le cadre permanent d'une société rurale, catholique et en pleine renaissance urbaine

Si ce redressement démographique a eu lieu, c'est que les cadres traditionnels de la société française ont tenu. Peu de villages ont été désertés (à la différence de l’Angleterre). La reconstruction s'est faite dans les structures anciennes des paroisses, de la seigneurie. Même si la bourgeoisie des villes commence à s'affirmer, le royaume abrite avant tout une société rurale, pour 90% de la population.

A) Des forces productives limitées

Les techniques agricoles restent les mêmes, depuis les progrès des XI°-XII°, et demeureront à peu de choses près identiques jusqu'au XVIII' siècle . Les rendements agricoles, faibles (de 4 à 6 pour 1), dépendent avant tout des conditions climatiques. Le gel, la pluie, 1a sécheresse peuvent gâter les récoltes. La pénurie de grains, la cherté des blés (base de l'alimentation), l'absence de surplus entraînent disette ou famine dans les campagnes et les villes. En ville, les classes aisées cessent tout achat non indispensable pour leur survie : artisans, commerçants sont privés de revenus. C'est le "modèle" de la crise de subsistance d’Ancien Régime.

B) Un catholicisme triomphant des crises et des hérésies

Religion du roi, le catholicisme doit être la religion de tous les habitants du royaume, et même devenir la religion universelle des hommes. C'est ainsi que Louis VII et Philippe Auguste, au XII° siècle, Saint Louis, au Xlll°, conduisent la croisade en Terre Sainte, contre indulgence (rémission des péchés) promise par la Papauté. Les "hérétiques" sont partout pourchassés : une véritable croisade des chevaliers du nord du royaume est lancée contre les paysans et bourgeois cathares du Languedoc, au début du Xlll° siècle. Les Juifs sont désignés comme peuple déicide, stigmatisés par le port de la rouelle (décidé lors du Concile de Latran de 1215 et imposé par Saint Louis), cantonnés en ville dans le ghetto. Dans la seconde moitié du Xlll' siècle apparaissent les premières caricatures antisémites du juif au nez crochu et à la barbe. Les rois hésitent néanmoins entre le rejet absolu, l'expulsion de toute la communauté juive, ou bien la ponction financière des commerçants juifs. Au temps des malheurs, quand les chrétiens recherchent des boucs émissaires, les Juifs, sont désignés comme responsables de l'empoisonnement des puits : en 1349, au lendemain de la Peste Noire, des Juifs sont massacrés à Strasbourg, en Provence, en Savoie.

Cet unanimisme religieux cultive l'intolérance, non seulement contre l'islam, contre les Juifs, mais également contre les chrétiens d'Orient orthodoxes (prise de Constantinople et première chute de 1’empire byzantin, en 1204, lors de la 4ème croisade, cf Magnard p. 196).

Mais l'idéal de Chrétienté, d'humanité unie dans la même croyance, reste hors d'atteinte, en raison des rivalités entre des Etats nationaux en pleine construction. Au XV° siècle, seul le roi de France porte le nom de Roi Très Chrétien. Et contre son influence sur la Papauté, qui séjourne à Avignon de 1309 à 1377 (le Palais des Papes), le Saint Empire Germanique, l'Angleterre suscitent un pape rival : c'est le Grand Schisme d'Occident, qui voit s'opposer deux papes de 1378 à 1417. Cet affaiblissement de l'Eglise catholique permet à Charles VII de s'imposer comme le chef naturel de l’Eglise de France, qui entre ainsi dans l'ère du gallicanisme.

C) La mort redoutée, la mort apprivoisée

L'Occident chrétien vit dans la soumission à un Dieu terrible, puissant, prompt à juger et à condamner à l'enfer. La charité envers les pauvres, le respect des sacrements, la prière surtout peuvent amadouer ce Dieu justicier. D'où les dons (en nature ou en argent) aux moines, dont c'est le métier de prier, nuit et jour, dans les monastères de l'ordre de Cluny ou de Citeaux. D'où ces érections de chapelles, de monastères, de prieurés ruraux, d'églises et de cathédrales urbaines, dons de pierre offerts pour obtenir la clémence de Dieu. D'où l'indulgence promise aux croisés. D'où "l'invention", vers le XII° siècle, du purgatoire, espace intermédiaire entre l'enfer et le paradis, refuge pour les âmes ni condamnées, ni saintes.

A la fin du Moyen Age, au cours de ces deux siècles de guerre, de famine et de peste, les croyants découvrent une Eglise parfois incapable de répondre à leurs angoisses. C'est l'époque où "la comptabilité de la mort" prend des proportions incompréhensibles pour qui ignore la terreur des hommes de cette époque pour l'enfer (cf les tableaux de Jérome Bosch) : les plus riches achètent des centaines de messes pour le salut de leur âme. Riches et pauvres participent en foule à des processions pénitentielles, aux "passions" théâtrales sur le parvis des églises, tandis que le "couronnement de la Vierge", la figure protectrice de la mère de Jésus, devient un thème majeur de l'art.

De plus en plus de fidèles, de réformateurs chrétiens exigent aussi un accès direct à la source du Salut, à la lecture de la Bible en langue vernaculaire, en un temps où seuls les clercs ont le droit de lire et de commenter l’Ecriture. Là se trouve une origine de la Réforme protestante, un autre élément de modernité de la fin du Moyen Age, avec l'ascension des classes bourgeoises.

D) Une renaissance urbaine

Soutenues par les rois dans leur lutte contre les barons - leurs franchises affaiblissant d'autant les seigneurs - les villes se développent, entraînées par l'expansion économique de l'Occident (cf Magnard p. 197). Au lendemain des croisades (finalement une défaite militaire pour l'Europe à la fin du XIII° siècle), la Méditerranée, débarrassée des flottes musulmanes, est contrôlée par les Européens (Italiens surtout, Portugais, Français avec Jacques Cœur, au XV° siècle). Ces grands négociants bourgeois prennent conscience de leur pouvoir et commencent à revendiquer une place dans l'ordre politique : profitant des troubles de la guerre de Cent Ans, le prévôt des marchands Etienne Marcel (une espèce de maire) conduit, en 1358, en parallèle avec la "jacquerie", une véritable révolution, dont l'objectif est de contrôler la monarchie. Réprimée, cette révolution n'empêche pas l'ascension durable de la bourgeoisie, présente dans les états généraux, présente aux côtés des nobles et du clergé dans l'administration royale, présente dans la fortune foncière, présente parmi les grands financiers du roi (comme Jacques Cœur, au service de Charles VII).